L’Europe face au défi
des réfugiés
Paris 27 septembre
Le défi migratoire
a changé de nature. A une migration à motivation économique provenant
principalement d’Afrique, s’est ajouté un exode massif de réfugiés victimes de
guerres civiles et de régimes tyranniques, venant principalement de Syrie. La
photo d’un enfant de trois ans noyé sur une plage turque a suscité un mouvement
mondial de sympathie. La chancelière allemande a pris la tête de ce mouvement
soutenu par la majorité de l’opinion en Europe occidentale. Elle a décidé de ne
plus renvoyer les réfugiés dans le pays de leur première entrée dans l’UE,
ainsi que le prévoyait la convention de Dublin, et s’est dite prête à examiner
800 000 demandes d’asile au cours des deux prochaines années. Puis, face à
l’ampleur imprévue des arrivées et à la saturation des structures d’accueil, la
Chancelière a fait une brusque marche arrière en décidant d’avoir recours aux
dispositions des accords de Schengen qui permettent le rétablissement des
contrôles à titre provisoire. Contrairement à des commentaires erronés, la
libre circulation des ressortissants de l’UE n’est nullement mise en cause. Par
la voix du vice-chancelier Sigmar Gabriel, l’Allemagne a justifié ce
retournement par l’absence de solidarité de ses partenaires. Sa disponibilité à
recevoir autant de réfugiés n’en a pas moins contribué à transformer l’image de
l’Allemagne et de sa chancelière et à créer une émulation bienvenue de la
générosité. On peut cependant regretter l’absence de consultation préalable à
ces décisions qui ont contribué à grossir la vague des demandeurs d’asile.
Le président Hollande, après avoir rejeté, au
printemps, la proposition initiale de la Commission européenne d’une
répartition de l’effort suivant des critères objectifs, s’y est finalement
rallié, tout en annonçant que la France
accueillerait 24 000 réfugiés dont un millier venant d’Allemagne comme
marque de solidarité envers notre partenaire. Paradoxalement, l’arrivée de
nouveaux réfugiés venant de Munich où des représentants de Paris sont allés les
chercher a eu pour effet d’améliorer l’accueil de migrants antérieurs pour
lesquels des hébergements se sont soudain révélés disponibles. La situation de
la France où le Front national représente un quart de l’électorat n’en est pas
moins bien différente de celle d’une Allemagne dont les finances sont en ordre
et qui souffre d’une pénurie de main d’œuvre et d’une natalité en berne. Bien
qu’un élan de générosité se soit également manifesté en France, les sondages
révèlent une division de l’opinion en deux fractions presqu’égales. Bien plus
négatives apparaissent les réactions en Europe centrale où toute obligation
d’accueil de populations en majorité musulmanes est considérée comme un risque
pour l’identité nationale. A signaler cependant l’appel à la solidarité lancé
par une centaine de personnalités d’Europe centrale.
Le Conseil européen a entériné le 23
septembre la décision prise la veille par les ministres de l’intérieur à la majorité qualifiée et sur
proposition de la Commission, de répartir 120 000 réfugiés. Le ralliement
de la Pologne a facilité une décision conforme à la logique des institutions,
bien que l’absence d’unanimité ait été présentée comme un échec. Les opposants
étaient la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. En
revanche, un consensus s’est établi en faveur d’un renforcement des contrôles à
la frontière extérieure, de la création de centres d’accueil en Italie et en
Grèce et d’une aide accrue aux organismes onusiens en charge des réfugiés
séjournant en Turquie, en Jordanie et au Liban. On espère ainsi endiguer le flot
et distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques.
De multiples questions
demeurent : répartition des réfugiés dont le nombre excèdera vite le
chiffre de 120 000, harmonisation des critères de l’asile, modalités du
renvoi des migrants économiques qui supposent des négociations avec les pays
d’origine, recherche de concours financiers auprès des pays du Golfe qui se
refusent à accueillir les réfugiés malgré leur commune appartenance sunnite.
Un
imbroglio diplomatique
L’Orient compliqué vers lequel le
général de Gaulle affirmait se diriger avec des idées simples est plus
compliqué que jamais. Le dictateur syrien Assad qui massacre sa population
bénéficie de l’appui de la Russie, de
l’Iran et du hezbollah chiites. Une guerre civile à partenaires multiples se
poursuit en Syrie, ravage son économie, sa population et ses trésors culturels.
Le prétendu Etat islamique Daech contrôle les déserts d’Irak et de Syrie. Il
multiplie les actes de barbarie et combat à la fois l’armée d’Assad, les Kurdes
qui tiennent la frontière nord et une armée irakienne sans consistance. Une
coalition anti-Daech réunit les Saoudiens et les Occidentaux, la doctrine
wahabite n’étant cependant pas étrangère à la naissance d’un khalifa islamique
à prétention universelle. La Turquie a tardé à se rallier à la coalition mais
accorde une priorité absolue à sa lutte contre les Kurdes du PKK. La Russie,
dont la Syrie est le seul point d’appui dans la région et qui dispose de la
base de Tartous, voit dans la crise actuelle le moyen d’affirmer sa puissance.
Poutine propose la constitution d’une large
coalition anti-Daech qui comprendrait, outre la Russie, la Syrie d’Assad. Les
Occidentaux se trouvent ainsi placés devant la perspective de se résigner à la
survie du régime syrien, Daech apparaissant comme l’ennemi principal. Un
mouvement de rapprochement tactique entre Moscou et Washington s’amorce sans
que les Européens y soient apparemment associés. Une sortie de crise passerait
par une réconciliation des puissances régionales (Arabie, Iran, Turquie) qui
s’affrontent en Syrie. L’accord
nucléaire conclu avec l’Iran, principal soutien d’Assad, pourrait-elle
faciliter une évolution, alors que Turquie et Arabie espèrent sa chute ?
Combien dérisoire parait, dans ces conditions, le débat ouvert en France
sur l’opportunité d’une intervention terrestre à laquelle une majorité de
l’opinion, révulsée par les atrocités de Daech, serait favorable mais dont nous
n’avons pas les moyens ! Les frappes aériennes, auxquelles participe la
France, ont contribué à contenir Daech
mais ne permettront pas de l’éliminer alors qu’il bénéficie du soutien de la
population sunnite maltraitée par le régime irakien. Mais nul, à commencer par
Obama, n’est prêt à faire la guerre sur le sol syrien. Contribuer à une
solution sans trahir nos principes devrait inspirer la stratégie de l’Europe si
la politique étrangère et de sécurité commune inscrite dans les traités ne
demeurait hélas une fiction.
La
crise grecque : un climat apaisé
La crise des réfugiés a occulté le
problème grec, tout comme celui de l’Ukraine.
Un troisième plan d’aide à la Grèce a
été approuvé par l’Eurogroupe le 14 août après des négociations laborieuses.
Les économies et les réformes finalement acceptées par le premier ministre
Tsipras ont provoqué l’éclatement de son parti et le recours à de nouvelles
élections. Le remplacement du flamboyant Yanis Varoufakis par George
Chouliarakis très apprécié par les membres de l’Eurogroupe a considérablement
amélioré le climat des relations avec la Grèce.
Il reste à résoudre le problème posé
par le montant d’une dette qui fait peser sur la Grèce une charge insupportable
de l’avis même du FMI. L’Allemagne souhaite s’en tenir à la prolongation des
délais de remboursement et à un allègement des intérêts. Il n’est pas sûr que
cela soit suffisant pour rétablir la confiance des investisseurs.
Les élections du 20 septembre ont
accordé à Tsipras un succès plus large que celui prévu par les sondages. Il lui
a permis de reconstituer sa majorité et son alliance avec un petit parti
souverainiste. La fraction dissidente de Syrisa n’a pas atteint les 3%. Elle ne
sera pas représentée au Parlement. Une relative stabilité est ainsi assurée.
Reste à voir si Tsipras sera capable de conduire des réformes auxquelles il
s’est engagé mais qu’il ne cesse de désapprouver.
Le
gouvernement de la zone euro
La crise migratoire a occulté le
débat sur la gouvernance et le renforcement de la zone euro. Un débat de
doctrine persiste entre ceux qui font du retour à l’équilibre des budgets et de
la réduction de l’endettement la condition préalable d’un retour durable à la
croissance et ceux qui voient dans ce qu’ils appellent l’austérité budgétaire
la cause de la stagnation. A ce débat qui, en France, divise le parti
socialiste, se surajoute, dans la perspective de la Cop 21, un autre débat sur
la nature d’une croissance de plus en plus dépendante des nouvelles
technologies et de la transition énergétique. Le succès de la réunion de Paris
est largement subordonné à la mobilisation de ressources suffisantes pour
répondre aux attentes des pays en développement. Le produit de la taxe sur les
transactions financières devrait contribuer à cette mobilisation.
La création, proposée par la France, d’une
gouvernance propre à la zone euro, demeure fort vague et semble en
contradiction avec le refus des abandons de souveraineté budgétaire. S’agit-il
de désigner un ministre des finances, comme l’envisage Pierre Moscovici, mais
aussi Benoit Cœuré, de réunir une assemblée parlementaire ? Le président
Tusk insiste sur l’achèvement de l’union bancaire par la garantie des dépôts.
Jean-Claude Junker plaide en faveur d’une représentation unifiée de la zone
euro au FMI. La création d’un parlement de la zone euro où siègeraient des élus
nationaux rencontrerait une vive opposition du Parlement européen ainsi que de
la part des Etats qui envisagent d’adopter l’euro à plus ou moins brève
échéance et ne veulent pas être exclus des délibérations. Un compromis,
lui-même très incertain, pourrait consister à créer une commission de l’euro au
sein du Parlement européen (Daniela Schwarzer du German Marshall fund) et/ou à
autoriser les parlementaires européens non membres de la zone euro à participer
aux débats sans droit de vote.
L’abaissement de la note de la France
par Moody’s vient de nous rappeler l’insuffisance de nos réformes, en dépit des
efforts louables mais contestés de Macron. L’opposition de droite qui préconise
des économies massives tout en protestant contre la réduction des subventions
aux collectivités locales est en pleine
schizophrénie.
La
crise de l’élevage
La suppression des quotas laitiers,
les mesures de rétorsion imposées par la Russie, le ralentissement de la
croissance chinoise s’ajoutant aux fluctuations cycliques du marché du porc ont
provoqué une baisse des prix qui place les éleveurs dans une situation
difficile. On mesure à cette occasion le retard pris en France dans la
modernisation des filières et aussi la concurrence jugée déloyale résultant des
bas salaires pratiquée en Allemagne, notamment dans les abattoirs. On peut
aussi s’interroger sur le bien-fondé de l’abandon de toute limitation
quantitative de la production laitière et sur l’avenir d’une industrialisation
à outrance de l’élevage. Ces questions ne vont pas manquer d’alimenter le débat
européen au cours des prochains mois.
Le
traité de partenariat transatlantique
Le traité de partenariat et de
libre-échange négocié avec les Etats-Unis dans une opacité dénoncée avec
quelque exagération donne lieu à de vives oppositions particulièrement
virulentes en Allemagne où les organisations de consommateurs et les
écologistes redoutent un affaiblissement des protections propres à l’Europe. La
Commission qui négocie sur mandat du Conseil mais avec un appui très discret
des gouvernements fait valoir le surplus de croissance que généreraient un
accord et aussi la chance d’imposer des normes universelles. Ce projet soulève
également de fortes oppositions aux Etats-Unis principalement de la part des
Démocrates, moins libre-échangistes que les Républicains. Voilà encore un sujet
qui alimentera les débats des prochains mois. La Commission vient de proposer
un mode de règlement des différends par la mise en place d’une cour de justice
paritaire afin de répondre aux objections élevées contre le système d’arbitrage privé précédemment
envisagé. On peut aussi se demander s’il ne conviendrait pas de mettre en
cause, à l’occasion de ces négociations, l’application extraterritoriale du
droit pénal largement pratiquée par les Etats-Unis.
L’affaire Volkswagen ne contribue pas
à renforcer les positions de l’UE. Elle révèle le conflit d’intérêts résultant
d’organismes de contrôle trop proches des entreprises. Cf les labos et l’agence
du médicament. Vw était-elle seule
coupable ?
La
préparation du référendum britannique
Il se confirme que le premier
ministre Cameron s’est tendu un piège redoutable. Pour éviter un isolement du
Royaume-Uni qu’il ne souhaite pas, il devra démontrer à des Britanniques en
majorité eurosceptiques qu’il a arrachés de réelles concessions à ses
partenaires. Sans doute obtiendra-t-il l’abandon de telle ou telle norme jugée
« technocratique ». Il lui sera plus difficile de justifier le droit
de déroger au principe de non-discrimination dans l’octroi des droits sociaux
aux ressortissants européens, ce qui ne peut que déplaire aux Etats d’Europe
centrale et orientale. De même, il aura du mal à maintenir son droit de
participer aux décisions de politique économique tout en abandonnant
explicitement l’objectif d’adopter l’euro. On n’a pas suffisamment prêté
attention à la contestation de la formule d’une « union sans cesse plus
étroite » qui, à défaut d’être éliminée des traités, ne concernerait plus
le Royaume-Uni. Cette revendication, tout comme le refus de tout pas en avant
en direction d’une défense commune en dépit des circonstances qui en démontrent
l’urgence, conduisent à se demander ce qui serait le pire : le Brexit ou
le reniement de l’idéal européen.
L’élection inattendue d’un leader
très à gauche, Jeremy Corbyn, à la tête du Labour accroit les chances du
Brexit, notamment si Cameron obtient des dérogations en matière de droit
social.
Une
crise d’une exceptionnelle gravité
Je ne puis en conclusion que
souligner la gravité de la crise présente. Les divisions apparues à propos de
la marée des réfugiés et l’impuissance qui en résulte ont rendu plus virulents
les ferments d’euroscepticisme qu’avait répandu la crise de l’euro. Mais cette
fois nous sommes en présence d’un conflit de valeurs. Que chaque pays, sinon
chaque personne, soit divisé contre lui-même n’est pas un réconfort. Ce qui
éclate aux yeux des meilleurs observateurs, c’est le drame d’une intégration au
milieu du gué, incapable d’avancer et menacée de dramatiques reculs. A mesure
que s’éloigne le souvenir des guerres du XXème siècle et de l’oppression
totalitaire, l’Europe n’apparait plus comme une promesse de paix, de liberté et
de prospérité mais comme le champ clos des intérêts à courte vue de chaque
Etat, et souvent de chaque région ou corporation. Le président de la Commission
a su trouver les mots qui convenaient pour décrire le spectacle offert par le
chaos de politiques nationales refusant de s’intégrer mais incapables de se
coordonner. Le Parlement européen a réussi à réunir une large majorité en
faveur des quotas de réfugiés. Mais bien faible est la riposte au flot de
discours nationalistes qui déferle sur l’Europe. Dans le meilleur des cas, on
se borne à reconnaître que les solutions ne peuvent être trouvées qu’au niveau
européen. C’est l’honneur de notre association de participer à un effort
pédagogique plus difficile mais plus nécessaire que jamais.
Texte établi à partir de mon Observatoire de l'Europe pour ARRI (Association réalités et relations internationales).