31 décembre 2014

Europe et ordre mondial


            Paris, 31 décembre 2014

            La lecture tardive d’un article de Jean-Marie Guéhenno paru cet été dans la Revue Esprit, me fournit le thème de mes vœux pour l’Europe et pour chacun de mes lecteurs. L’ancien sous-secrétaire général des Nations-Unies décrit impitoyablement le déclin du multilatéralisme sous l’effet de la résurgence générale des nationalismes et de la suprématie des intérêts particuliers sur un intérêt général de l’humanité largement ignoré en dépit des évidences d’un désordre mondial de plus en plus menaçant. A titre d’exemple, la renonciation de fait à toute réforme d’une ONU devenue de moins en moins représentative, donc de moins en moins légitime et toujours paralysée par le veto des Cinq grands de 1945. L’Union européenne, elle-même en crise de légitimité, n’exerce plus, comme jadis, un effet d’exemple favorisant les solutions coopératives aux inévitables conflits internationaux. Voilà pourquoi, en militant pour une relance de l’Europe que devrait permettre la sortie de crise et une transition institutionnelle réussie, nous ne travaillons pas seulement pour nous mais pour l’humanité entière.

18 décembre 2014

France - Allemagne Halte au feu



Paris, 18 décembre.
Depuis quelques semaines, le ton des débats sur la politique économique entre les deux principaux partenaires et animateurs de cette grande communauté d’Etats et de peuples est très loin de ce qu’il devrait être. Depuis la goujaterie de Mélanchon intimant l’ordre à la Chancelière de la fermer, jusqu’aux déclarations de personnalités s’étonnant que l’on puisse manquer de respect à un "grand" pays en lui rappelant ses engagements non tenus, tout est fait pour réveiller les vieilles rancunes. On voit dans les magazines des dessins rappelant le temps des invasions. La France, depuis Bérégovoy, réclame un gouvernement pour la zone euro sans avoir jamais eu l’intention de se plier à des décisions lui imposant un plan sérieux de réduction des déficits, décisions que de moins grands pays mais tout aussi soucieux de leur dignité ont dû respecter. Si notre incapacité à tenir nos engagements, ne nous avait fait perdre toute crédibilité, nous serions mieux placés pour exiger une politique plus collaborative de la part de l’Allemagne.
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08 décembre 2014

L'actualité européenne

                                                           

L’actualité européenne
          Paris, 8 décembre
          Ci-dessous un résumé de l’actualité européenne destiné aux membres d’ARRI (Association Réalités et Relations Internationales). Il y manque le succès remarquable de la sonde Rosetta et la décision de financer un nouveau programme de lanceurs spatiaux. Deux éclaircies dans le ciel européen.
A la stagnation persistante de l’économie s’ajoute l’intensification des affrontements et parfois des violences extrêmes dans le voisinage de l’Europe. L’un et l’autre phénomène contribuent à assombrir cette fin d’année.
La crise perdure
L’entrée en fonction de la nouvelle Commission a fâcheusement coïncidé avec la révélation des facilités fiscales consenties à nombre de grandes firmes par le Grand-Duché alors que Jean-Claude Juncker y exerçait les fonctions de premier ministre et de ministre des finances. A vrai dire la pratique des rulings n’était pas inconnue et était pratiquée ailleurs. C’est l’ampleur de l’usage qui en a été fait au Luxembourg qui pose problème. Le contre-emploi dans les attributions des  commissaires que j’avais relevé dans ma précédente chronique s’étend ainsi au président lui-même. Il n’est pas interdit d’espérer que la lutte contre l’évasion fiscale n’en sera pas entravée, bien au contraire. 
Le démarrage de l’union bancaire, c’est-à-dire la mise sous la tutelle de la BCE (banque centrale européenne) de l’ensemble des banques importantes de la zone euro est un pas significatif en direction d’une fédération économique et[RT1]  financière. Toutefois, l’étape ultime, celle d’une solidarité en dernier ressort en cas de défaillance d’un établissement, n’interviendra que dans plusieurs années.
La publication par la Commission sortante de rectifications dans le calcul des contributions nationales au budget commun a permis à M. Cameron de se poser en défenseur des intérêts britanniques contre les technocrates de Bruxelles, rôle qu’il affectionne, sans qu’il puisse espérer surpasser, en ce domaine, l’europhobe Farage et son UKIP. L’incident sera réglé par un étalement des versements.  En s’étant engagé, s’il gagne les élections de l’an prochain, à soumettre à referendum le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, le Premier ministre a pris un risque considérable. Ses demandes  d’amendements aux traités semblent devoir se concentrer sur la limitation des aides sociales et médicales aux travailleurs migrants.
La persistance de la stagnation dans la zone euro n’en demeure pas moins une source de préoccupation pour les dirigeants et de mécontentement pour les peuples. Il n’est pas sûr que les 300 milliards d’investissements annoncés par le président Juncker suffiront à provoquer le démarrage espéré. Un habile montage organisé avec l’appui de la Banque européenne d’investissements devrait permettre de mobiliser des fonds privés. Ce plan bénéficie de l’appui de la chancelière ainsi que celui du nouveau président du Conseil européen l’ancien premier ministre polonais Donald Tusk entré en fonctions le 1er décembre. La baisse de l’euro, heureusement accompagnée de celle des cours du pétrole, devrait avoir un effet favorable.
Le nouveau sursis accordé à la France concernant la réduction du déficit de ses finances publiques semble[RT2]  conditionné par un engagement de réformes que le ministre  Macron a grand peine à faire accepter par une majorité rétive. 
La négociation en vue d’un accord de libre-échange transatlantique se poursuit sur fond de contestation passionnée de la part d’opposants redoutant un affaiblissement des protections accordées par l’Europe à l’environnement et aux consommateurs. On peut en revanche attendre de cet accord, outre un supplément de croissance, une extension de nos normes au niveau mondial. La difficulté principale à laquelle font face les négociateurs réside dans le règlement des différends : arbitrage privé selon les USA, tribunaux publics selon l’UE.
Intensification des affrontements
L’appui, à peine camouflé, apporté par la Russie aux insurgés ukrainiens maintient un climat détestable dans les relations UE – Russie qui rappelle la guerre froide. Les responsabilités de l’Ouest - incapacité d’organiser un partenariat stratégique avec la Russie - ne sauraient justifier la politique de Poutine dont l’un des aspects les plus condamnables est sans doute la propagande haineuse et mensongère développée en Russie. La renonciation des Européens à financer et à intégrer leur défense les condamne à un rôle d’observateurs aussi inquiets des hésitations d’Obama qu’ils l’avaient été de l’activisme brouillon de Bush. Saluons cependant l’imposition de sanctions adoptées à l’unanimité.
L’implantation en Syrie et en Irak d’une organisation fanatique se réclamant de l’islam sunnite et se prétendant un Etat a suscité la formation d’une coalition où la coexistence des chiites et des sunnites ne va pas de soi. Les Occidentaux se limitent à fournir armes et appui aérien à des combattants kurdes et à une armée irakienne composite. Il est dommage que l’accord avec l’Iran sur le nucléaire, une fois de plus reporté, n’ait pas permis d’élargir la coalition anti-terroriste.
La situation d’anarchie qui perdure en Libye est une autre source de désordre au voisinage de l’Europe. Elle contribue, par le trafic des armes provenant des arsenaux de Kadhafi à répandre l’insécurité dans la zone et à multiplier le nombre des candidats à la migration venus d’Afrique. En l’absence d’une politique de sécurité commune, la France supporte avec un appui limité de ses partenaires la tâche redoutable et coûteuse de rétablir et de maintenir l’ordre dans la zone  sahélienne.
Le pape François à Strasbourg
Renouvelant le geste de Jean-Paul II le pape s’est adressé le 25 novembre à Strasbourg successivement au Parlement européen et au Conseil de l’Europe. Tout en rendant hommage aux idéaux des pères fondateurs, il a dressé un tableau sévère de l’état d’un continent refermé sur lui-même, donnant une impression de fatigue et de vieillissement. La leçon a été bien accueillie. Souhaitons que l’appel à une Europe « féconde et vivante » soit partout entendu.


23 novembre 2014

Jungker en contre-emploi ?




            Paris, 23 novembre.

L’octroi d’un régime fiscal de faveur à de grandes entreprises n’est pas le monopole du Luxembourg. Cependant la révélation de l’ampleur de cette pratique au Grand-Duché quand Jean-Claude Jungker y exerçait les fonctions de ministre des finances et de premier ministre a fâcheusement coïncidé avec le début de son mandat à la tête de la Commission. Il n’est pas invraisemblable que cette circonstance soit plus favorable que défavorable à une lutte plus énergique contre l’optimisation et l’évasion fiscales qui sont enfin dans l’air du temps. M. Jungker n’a-t-il pas déjà préconisé l’échange automatique des informations en ce domaine ? Lui-même a pratiqué le contre-emploi dans l’attribution des compétences à plusieurs de ses commissaires en confiant la discipline budgétaire au Français Moscovici, l’énergie à l’Espagnol Canete, l’éducation au Hongrois Navracsis, les migrations au Grec Avramopoulos.  

17 novembre 2014

Un livre stimulant de Giscard



Paris, 17 novembre                        Note de lecture
Europa
La dernière chance de l’Europe
Valéry Giscard d’Estaing
Préface d’Helmut Schmidt

            L’ancien président de la République a le grand mérite de rompre le silence assourdissant des leaders politiques français sur l’avenir devenu incertain du grand mouvement d’unification européenne qui a marqué le dernier siècle. Il tire la leçon de la profonde divergence qui oppose les pays décidés à poursuivre le processus d’intégration économique, monétaire et fiscale et ceux qui se satisfont de la participation à un grand marché et récusent l’objectif d’une union plus étroite ou se révèlent hors d’état d’y participer.

            Sa vision de l’avenir européen est celle d’une union limitée à une douzaine de membres, les six fondateurs, les deux Ibériques, l’Autriche, la Finlande, la Pologne après son entrée dans l’eurozone et l’Irlande, si elle parvient à surmonter son particularisme référendaire. Baptisée Europa pour la distinguer de la grande Union européenne qui subsisterait, cette entité plus restreinte se donnerait comme objectif la mise en place « d’une Union monétaire, budgétaire et fiscale, à l’espace homogène, dotée à terme d’un Trésor public, et d’un mécanisme de solidarité financière ». L’auteur ne dissimule pas que son projet se limite à l’intégration économique. Il renonce à l’objectif d’une intégration politique incluant politique étrangère et défense jugeant que ni les gouvernements ni les peuples ne l’accepteraient. « La proposer aurait alors un effet négatif ».

            Fidèle à la préférence française pour l’intergouvernemental mais tirant les leçons de la paralysie résultant de l’exigence d’unanimité, l’ancien président de la Convention pour l’Europe propose qu’Europa soit gouvernée par un « Directoire » composé des chefs d’Etat et de gouvernement, prenant ses décisions à la double majorité des Etats et des populations et doté d’un secrétaire général. Ce Directoire serait doté d’un président et d’un vice-président, « l’un venant des grands pays…, l’autre des moyens ou petits », le président se déchargeant de sa responsabilité nationale. A terme l’un et l’autre pourraient être élus par un Congrès des peuples composé pour deux tiers de membres des parlements nationaux et pour un tiers de députés européens. Ce Congrès où figureraient les leaders politiques nationaux devrait contribuer à l’émergence d’une « société politique européenne ». Il n’est cependant pas précisé si le Congrès aurait une fonction législative ou de contrôle du Directoire.
                                                                                                               
            L’auteur du projet se rallie à la formule inventée par Jacques Delors de la fédération d’Etats-nations, « conservant leurs identités, et gérant sur le mode fédéral les compétences qu’ils lui attribuent ». Il récuse expressément le schéma traditionnel des fédéralistes voyant dans la Commission l’amorce d’un gouvernement et dans le Conseil celle d’une chambre haute, d’un Sénat. A certains égards, le projet Europa parait en recul, du point de vue démocratique sur l’Union à vingt-huit. M. Giscard d’Estaing abandonne son ton habituellement modéré lorsqu’il dénonce le « coup d’Etat de Bruxelles », à savoir la prise d’influence du Parlement sur la désignation du président de la Commission. Faut-il rappeler que la formule des candidats désignés avant les élections, suggérée par Delors, correspond à l’usage des démocraties parlementaires de choisir pour premier ministre le chef du parti arrivé en tête aux élections ? Au demeurant, les membres du Conseil européen ne manquent pas de moyens d’influencer le choix des candidats pré-désignés avant les élections. Autre caractéristique du projet qui l’éloigne du fédéralisme, l’absence de proposition visant à mettre en place un véritable budget commun alimenté par des ressources propres et qui permettrait de créer ou de renforcer des politiques ou des actions communes.

            Trop fédéraliste pour les uns, trop intergouvernemental pour les autres, le projet de Valéry Giscard d’Estaing soulève trois questions majeures : la sélection des pays appelés à fonder Europa, les relations entre Europa et l’Union européenne, la contradiction entre une intégration politique très poussée et le renoncement à l’union politique.

            La liste des pays ayant vocation à participer à Europa ne manquera pas de soulever des objections, y compris de la part de pays peu disposés à une intégration plus poussée ou attachés à la règle d’unanimité en matière de fiscalité. C’est un grand mérite de la proposition de M. Giscard d’Estaing que les placer face à leurs contradictions. On doit s’attendre à une forte réticence de notre partenaire allemand, supposé être avec nous le promoteur d’Europa, à se couper de son hinterland oriental. Au demeurant on ne voit pas quel critère objectif permettrait d’écarter les pays baltes qui ont fait et font de grands efforts pour rejoindre l’eurozone.

            Les relations d’Europa avec l’UE sont difficiles à imaginer et Giscard se garde bien de le faire. Que l’on songe à la politique commerciale qui relève de la compétence exclusive de l’UE, à la  politique de concurrence, domaine où la Commission dispose de pouvoirs de décision, à la politique agricole élément essentiel du budget de l’UE, de la politique de cohésion dont dépend le rattrapage des Etats d’Europe de l’Est qui, à l’exception de la Pologne, n’auraient pas vocation à rejoindre Europa.

            C’est le renoncement à l’union politique qui constitue la principale difficulté du projet de l’ancien président. Certes M. Giscard d’Estaing n’a pas tort de constater qu’aujourd’hui les conditions n’en sont pas réunies. Mais le réalisme dont il se réclame devrait aussi le conduire à reconnaître l’extrême fragilité d’une union économique et fiscale non encadrée dans un système de solidarité politique. La France se plaint de supporter seule ou presque le poids des interventions outre-mer. Pourrait-elle accepter une union fiscale n’en tenant aucun compte ? Enfin nombreux sont les domaines où union économique et politique ont des frontières floues, qu’il s’agisse de la lutte contre l’immigration illégale, de la répression de la criminalité internationale, de la police d’internet, de l’énergie, du climat, des armements..

            Est-ce faire preuve d’irréalisme que parier sur la contrainte de la nécessité ? Comment nos peuples et nos gouvernements pourraient-ils choisir durablement de demeurer des nains dans un monde de géants ?